28 mars 2017

Quel président pour la France?

En 2017, les Français vont-ils élire un rebelle, un souverain, un protecteur ou un héros?

Lundi 20 mars, le premier débat présidentiel sur TF1 a mis en scène les cinq candidats les plus médiatisés de cette élection. Les analyses classiques ont adopté une lecture sportive et tactique des échanges entre les prétendants. Mais cette approche gagnants/perdants a tendance à occulter une autre réalité, celle du positionnement de chacun dans les imaginaires symboliques des électeurs.

En effet, on n’élit jamais seulement un programme, des idées ou un parti. A la fois vœu pour l’avenir et un gage de confiance, le vote est aussi une manière d’établir un lien entre l’histoire et l’avenir: que ce soit dans la continuité, le status quo ou même la rupture.

Des figures familières

Chaque candidat incarne ainsi quelque chose de plus grand que lui-même, bien au-delà de sa personnalité. C’est dans cette dimension que les Français vont projeter leurs peurs, leurs espoirs et leurs idéaux.

Chez Enigma, pour comprendre ces méta-concepts situés en coulisse des récits politiques, nous utilisons les mêmes techniques que pour l’analyse et la construction des marque. Et c’est entre autres sur les archétypes de Jung que nous appuyons cet exercice de rétro-ingénierie politique.

Pour Jung, les archétypes sont des représentations collectives, universelles et inconscientes qui structurent notre psyché collective. Propre aux mythes comme aux rêves, ce modèle a été progressivement validé par les neurosciences.

Psychologie politique

Des chercheurs ont constaté que le cerveau humain a conservé, au fil de notre évolution, certains schémas neuronaux prédéfinis. C’est là que les représentations culturelles et individuelles se construisent dynamiquement. Ces archétypes de fond vont s’exprimer de manière symbolique et leurs formes diffèrent d’une culture à l’autre.

Ainsi, chaque peuple et chaque couleur politique dispose d’une perception particulière de la présidence et des mythes liés à l’accès au pouvoir. De même, ces symboles peuvent évoluer au gré de l’Histoire et sous l’influence de changements socio-culturels profonds.

En France, cette élection présidentielle présente des enjeux cruciaux. Sur les thèmes de l’Europe, de la 6e République, des 35 heures, des fonctionnaires ou de l’immigration, les Français sont face à une question de fond: faut-il maintenir une forme de continuité avec le passé ou au contraire rompre totalement avec?

candidats

Face à cette question fondamentale, nous avons constaté que chaque candidat se positionne dans un rôle précis en endossant le costume d’un archétype familier.

Les candidats de la continuité

Emmanuel Macron, la politique en mode start-up
Macron incarne l’outsider qui souhaite dépasser le clivage gauche-droite. Il oscille pour l’instant entre le rebelle et le héros. Cérébral et théorique, son langage technique proche du consultant le positionne dans le champ lexical de l’entreprise. Même si les symboles de la disruption sont perceptibles, il propose une transformation et une innovation incrémentielle.

Par la maîtrise du storytelling et leur volonté de faire rêver, ses discours s’apparentent à des pitches de start-upper. Souvent comparé à Bonaparte, Macron a choisi un slogan («En marche») et un style de communication qui évoquent la montée au pouvoir fulgurante du jeune officier Corse.

François Fillon, l’aristocrate blessé
Il est le souverain victime dont la légitimité d’ancien premier ministre s’efface au fur et à mesure que les affaires l’éclaboussent. Jouant sur la corde émotionnelle en évoquant Pierre Bérégovoy comme le cabinet noir de l’Elysée, il s’enferme dans le fantôme de son propre bon-droit.

Il est non seulement le candidat du status quo (qui face au danger de l’inconnu peut souvent séduire), mais aussi celui de l’austérité. Son slogan initial «Le courage de la vérité» lui a littéralement explosé à la figure: il annonce désormais «Une volonté pour la France».

Les candidats de la rupture

Jean-Luc Mélenchon, à l’assaut de la Bastille 2017
C’est l’archétype du rebelle et du créateur. Que ce soit avec «l’avenir en commun», «la France insoumise» ou son intention de mettre fin à «la monarchie présidentielle», on perçoit une volonté profonde de renouer avec les mythes de la révolution française.

S’attaquant à l’establishment politique, à la finance, aux traités européens comme au nucléaire, il propose un saut dans l’inconnu en convoquant l’assemblée constituante pour passer à la 6e République. C’est la rupture la plus ambitieuse et radicale proposée aux Français. C’est aussi le choix présidentiel qui comporte le plus de risque d’instabilité pendant une période de transition vers une nouvelle république.

Marine Le Pen, le Charles Martel au féminin
La candidate FN parle de contrôle et de sécurité, elle professe la rupture avec le monde et le repli sur soi. «Remettre la France en ordre» incarne un discours autoritaire et sécuritaire. Cette vision s’appuie sur une tendance généralisée de la montée des populismes et la forte perte de vitesse des partis socio-démocrates.

On a entendu Marine Le Pen faire référence aux grandes invasions de la France, de Poitiers à la seconde guerre mondiale. En termes d’archétype, elle se place en protectrice et en souveraine. Dans sa vidéo de campagne, on la voit d’ailleurs tour à tour capitaine de navire ou à portée d’une bouée de sauvetage au bord de la plage, guettant l’horizon.

Elle propose de redonner la France au peuple. Mais lequel, serait-on tenté de demander? Des mesures économiques et sociales orientées à gauche, de la sécurité et une préférences pour les Français. Serait-ce cela dont le peuple français rêve secrètement?

Benoît Hamon, le Robin du Batman Mélenchon
C’est l’archétype du rebelle et du protecteur. Mais le candidat du PS est celui qui a visiblement les plus grandes difficultés à se positionner dans l’inconscient collectif. Son slogan est à l’image de sa campagne, une formule trop compliquée: «Faire battre le cœur de la France». Faut-il l’interpréter dans un sens médical ou romantique?

Il représente une gauche à bout de souffle, divisée qui essaie par opportunisme de récupérer des sujets dans l’air du temps, comme un revenu universel mal bricolé. La difficulté pour Benoît Hamon est d’exister au côté d’un Jean-Luc Mélenchon qui reste philosophiquement proche de son programme et meilleur orateur.

Comment les candidats vont-ils se repositionner par rapport à ces enjeux?

Comment mettre en oeuvres les bons symboles, s’appuyer sur les mythes adéquats et invoquer la légitimité requise par leurs stratégie?

Quel archétype pour gagner le 1er tour, faudra-t-il en changer pour le 2e tour?

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