23 octobre 2012

Shift ou Escape?

En tout temps, les nouvelles technologies ont été clouées au piloris, jugées responsables de bien des maux de leur époque. Les acteurs d’univers tant économiques que scientifiques ou même politiques ont cherché à freiner leur avènement. Incapables d’anticiper l’apparition d’innovations majeures ou dans le refus de se remettre en question leur position et leur idéologie, ces acteurs ont raté des tournants historiques.

Au 17ème siècle, grâce à une invention technologique, celle du télescope, le savant italien Galilée observe des montagnes sur la lune et des taches sur le soleil. En peu de temps, le modèle de Ptolémée vieux de 15 siècles s’effondre. Tant le monde scientifique que l’institution religieuse se voyaient décrédibilisés par les résultats obtenus grâce à cette nouvelle technologie. Sa vision héliocentriste, lui coûta la censure puis l’interdiction pure et simple de l’ensemble de ses thèses. Assigné à résidence grâce à l’abjuration de ses travaux, il aura néanmoins posé les bases de la physique moderne.

Un siècle plus tard, l’Anglais James Hargreaves invente la première machine à filer le coton. Permettant à une seule ouvrière de contrôler simultanément huit bobines de fil, l’invention est gardée secrète. Mais son niveau de production est tel que des concurrents locaux finissent par détruire les machines. Forcée de s’installer en ville, cette mécanisation vient d’inspirer le début de la révolution industrielle.

La révolution industrielle voit d’autres cas similaires. Le transport par le train est d’abord rejeté par une partie de la population. Supplanté par ce nouveau type de transport, le réseau européen de diligences y voit la mort lente de ses activités. La machine à vapeur allait également rompre avec le schéma classique de transmission du savoir au sein des corporations d’artisans. Un métier se transmettait en effet de père en fils et il offrait une véritable valorisation sociale. En intégrant la mécanisation du travail, les ouvriers devenaient des opérateurs de machine.

Ces exemples sont-ils le résultat d’une attitude passéiste propre à un autre temps ou le lot de certaines formes d’innovation au caractère fortement perturbateur? Aujourd’hui, par exemple, bien que le téléchargement de séries télévisées ou de films soit très répandu, l’industrie du cinéma dépense des milliards en essayant d’interdire ce comportement. Dans l’univers de la musique, Apple a pourtant choisi un angle d’approche bien différent avec le développement de l’écosystème musical iPod-iTunes. De cette manière, la multinationale a rapidement transformé un grand nombre de pirates en consommateurs. Plus proche des radios, Spotify ou Last.fm ont réussi le pari de monétiser le business model de l’accès illimité à la musique.

Avec l’arrivée des blogs, de nombreux journaux ont tenté d’interdire les liens directs (deep linking) vers leurs articles. Restés bloqués sur le modèle du print et sa forme de monétisation publicitaire, ils ne voyaient pas d’un bon oeil le fait qu’un internaute puisse consulter une seule page de leur site sans passer par la page d’accueil voire d’autres pages. Encore à ce jour, les presses belge, allemande et française essaient grotesquement d’interdire ou de taxer l’indexation de leurs contenus par  Google.

Quant à Julian Assange, après plus de 500 jours d’assignation à résidence, il est enfermé aujourd’hui dans une ambassade d’où il tente d’éviter une extradition vers la Suède. Il a sans doute fortement embarrassé la Maison Blanche, mais il a certainement autant d’ennemis auprès des journalistes que des militaires du Pentagone. Son système de publication d’information associe plusieurs technologies qui ébranlent complètement l’establishment journalistique. Le web lui permet d’une part d’être autonome grâce au financement participatif (crowd funding) et d’autre part, de vérifier et de valider les informations reçues grâce à sa communauté collaborative de journalistes. En plus de ces évolutions majeures qui définissent les bases d’une nouvelle forme de diffusion de l’information, cette tendance vers un journalisme plus « démocratique » s’appuie également sur une technique de cryptage qui permet aux sources de wikileaks de rester totalement anonymes. En lui attribuant le Prix Martha Gellhorn en 2011, les juges déclaraient même: « Julian Assange est la personne qui a permis la publication d’un plus grand nombre de scoop en un an qu’aucun journaliste ne pouvait imaginer en toute une carrière. »

Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Le scientifique britannique Lee Cronin travaille sur un prototype de « Chemputer » permettant d’imprimer n’importe quel médicament grâce à l’impression 3D de molécules. On pourrait donc légitimement se demander si l’industrie pharmaceutique serait sur le point de vivre son moment « Napster »?

Il en résulte aujourd’hui le besoin fondamental de veille technologique et d’échanges inter-disciplinaires. Car si notre époque ressemble en bien des points à celle de la révolution industrielle, notre contexte de réseaux accélérés, basés sur des valeurs d’ouverture et de transparence modifie les règles du changement. Dans une société qui cultive en effet, le remix, l’assemblage et le partage, l’avenir pourrait permettre un espace de liberté et de créativité incontrôlable encore jamais connu.

CREDITS

ILLUSTRATION: mashup de David Caspard Friedrich et Imperial Boy

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