Le design digital doit-il imiter le réel?
Le phénomène porte un nom : le Skeuomorphisme digital. Les boutons d’applications iPhone sont l’une de ses illustrations les plus connues. En regardant bien, on s’aperçoit qu’ils sont calqués sur des touches de clavier d’ordinateur. Mêmes arrondis, mêmes proportions, mêmes ombres sur le côté pour donner un joli effet de volume.
Apple a fait du design un moyen de se distinguer de ses concurrents. L’un des points forts de l’iPhone à sa sortie était l’écran tactile et l’abandon des boutons. Pourquoi donner l’impression de régresser en incluant dans l’interface un menu qui rappelle un clavier d’antan?
Le Skeuomorphisme digital
Le Skeuomorphisme digital est partout et nous nous y sommes déjà habitués. Les boutons de sauvegarde sont marqués d’une disquette. Ce support n’existe plus que sur les t-shirts des geeks ; pourtant, le symbole a été adopté. Même constat pour l’email : l’icône qui le représente est une enveloppe, objet dont il est très éloigné techniquement, même s’il l’a remplacé en grande partie. C’est là l’objectif du skeuomorphisme : rendre un concept plus accessible en reprenant l’apparence d’un objet connu et dont l’objectif est similaire. Cette technique est un moyen didactique d’expliquer un fonctionnement. Elle permet de rendre une interface plus intuitive en imitant un objet connu.
Cependant, toutes les tentatives de faciliter la vie ne se soldent pas toutes par un succès. Ainsi, le système PageFLip, qui permet de montrer un pdf sous la forme d’un livre dont on tourne les pages, est une véritable aberration ergonomique. Pour Ted Nelson, sociologue américain, « Imiter le papier sur un écran d’ordinateur revient à arracher les ailes d’un 747 et de l’utiliser comme un bus sur une autoroute. »
Le défaut du skeuomorphisme est que la couche graphique cannibalise l’ergonomie. Il est bien plus simple d’actualiser son flux facebook en le tirant vers le bas qu’en cliquant sur un bouton orné d’un glaçon pour « rafraîchir » la page.
Dans ces conditions, pourquoi voit-on fleurir ces interfaces qui ressemblent à des objets connus ? Le site d’EasyJet est parsemé d’autocollants que l’on est invité à décoller « pour en savoir plus. » Comme si cliquer s’apparentait à décoller l’étiquette d’une bouteille de Coca-Cola pour connaître les détails d’un nouveau concours. La librairie en ligne d’Apple est une bibliothèque en bois dans laquelle les livres sont joliment rangés sur des étagères et dont chaque couverture est en relief grâce à un dessin 3D. L’interface du logiciel « Notes » sur iPad pousse l’expérience encore plus loin, en ajoutant un cadre de cuir surpiqué avec un effet de papier déchiré comme dans un vrai carnet.
L’avantage du skeuomorphisme est évident. Il permet d’expliquer et de faire adopter des nouveaux comportements aux couches les plus résistantes d’un marché : la « late majority » et les « lagardes. » Dans la courbe d’adoption d’un produit, les « innovateurs » et les « trensetteurs » sont prêts à explorer de nouvelles pratiques, tandis que les « lagardes » et la « late majority » veulent être sûrs qu’une nouveauté s’inscrive dans le temps, même si de nombreux utilisateurs l’ont adopté immédiatement. Apple, en l’occurrence, ne peut pas attendre que les dernières cibles achètent une tablette. La stratégie de conquête est donc de comparer le nouveau produit à des objets familiers et utiles : le carnet de note, la bibliothèque, etc.
Esthétisme
L’un des problèmes du skeuomorphisme est de primer la forme sur le fond. Il est difficile de promouvoir un produit esthétique dans un environnement vintage. Il vaut mieux faire un travail sur l’expérience utilisateur, même si c’est beaucoup plus complexe. C’est le propre des génies que d’inventer des usages spécifiques pour une technologie.
Cette imitation du monde physique est le fruit d’une stratégie de conquête des derniers marchés encore vierges de pratiques digitales. Le plus étonnant est de voir cette mode fleurir sur des sites Internet ou des programmes informatiques qui n’en n’ont pas besoin, ou même que cela encombre. Combien de sites s’adressant à des technophiles ou présentant de nouveaux produits ont fait appel à cette stratégie sans en comprendre l’objectif ? Imiter un comportement n’est pas une stratégie. Il faut imiter le processus de création d’une stratégie pour espérer des résultats. Imiter donc la pratique actuelle d’Apple est une erreur.
Le skeuomorphisme est une étape naturelle dans le processus d’adoption des nouveaux médias. Certains détails se maintiendront, même si l’essentiel disparaîtra, comme les premières voitures qui ressemblaient à des carrosses.
UTILISATION DU SKEUOMORPHISME EN DESIGN DIGITAL